Les déchets organiques, sources de minéraux pour lutter contre la malnutrition

Résultats & impact 18 mars 2025
Grâce à des pratiques agroécologiques, il est possible de transformer des déchets organiques en fertilisants capables d’améliorer la teneur en micronutriments de certaines cultures. Ce processus est appelé la « biofortification agronomique ». Des céréales, légumineuses, légumes racines et tubercules enrichis en fer, en zinc ou en vitamines : découvrez les résultats prometteurs du projet OR4FOOD, déployé au Sénégal et en Éthiopie.
Écossage de niébé, Bambey, Sénégal © C. Dangléant, Cirad
Écossage de niébé, Bambey, Sénégal © C. Dangléant, Cirad

Écossage de niébé, Bambey, Sénégal © C. Dangléant, Cirad

L'essentiel

  • En zone rurale sahélienne, les couples mère/enfant souffrent souvent de carences en micronutriments. Considérant les impacts sanitaires et sociaux de ces carences, le projet OR4FOOD vise à améliorer la teneur en micronutriments de certains aliments très consommés, et ce via des pratiques agroécologiques.
  • Dans le cadre du projet, une fertilisation par des résidus organiques a été combinée à des micro-organismes efficients, résultant sur une augmentation de la teneur en fer, zinc et vitamine A pour des variétés de niébé, mil et patate douce.

La malnutrition peut prendre plusieurs formes. L’une d’entre elles étant les carences en micronutriments, en particulier pour le fer, le zinc et la vitamine A. Plus de deux milliards de personnes dans le monde présentent aujourd’hui ce type de carences, avec des conséquences sanitaires lourdes pour les systèmes de santé.

Dans les pays à faible revenu, les carences en zinc, en fer, et en vitamine A sont parmi les dix principales causes de maladies. Une personne carencée en fer sera anémiée avec une diminution de ses capacités physiques et intellectuelles et une moindre résistance aux infections. Le manque de zinc entraîne quant à lui une faiblesse du système immunitaire et des inflammations chroniques. Chez les enfants, des retards de croissance sont régulièrement constatés, d’autant plus si les mères sont elles-mêmes carencées, entrainant une mortalité plus importante des nouveau-nés.

Des impacts sanitaires qui se répercutent sur l’éducation et l’économie. En 2014, la Commission de l’Union africaine chiffrait l’impact négatif de ces carences en micronutriments à 11% en moyenne sur le PIB des pays africains.

La biofortification : améliorer la qualité nutritionnelle dès le champ

Face à cet enjeu, le projet OR4FOOD s’est donné comme objectif d’améliorer la teneur en micronutriments de plusieurs produits agricoles très consommés en Afrique, et ce via la « biofortification agronomique ». Cette pratique vise à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments lors de la culture, directement dans les champs. Le projet a été financé par l'Union Africaine et l'Union Européenne et a duré quatre ans, de 2018 à 2022.

Dans le cadre d’OR4FOOD, les membres du projet ont opté pour une double stratégie : 

  • Choisir des variétés existantes de mil, de teff, de niébé et de patate douce naturellement riches en micronutriments,
  • et les fertiliser par des déchets organiques combinés à des micro-organismes efficients  produits à la ferme. 

Pour Jean-Michel Médoc, agronome au Cirad et coordinateur du projet, les résultats sont prometteurs : « pour le niébé, nous avons pu obtenir un gain sur la teneur en fer d’environ 20 % en un peu moins de deux ans ».

Valoriser les déchets organiques pour augmenter la teneur en minéraux des cultures

OR4FOOD a fait le pari de l’agroécologie. Après une sélection de plusieurs variétés naturellement denses en nutriments, l’équipe a testé plusieurs types de fertilisations organiques via l’utilisation de résidus issus d’activités humaines : fumiers, litières de volailles, boues de stations d’épuration des eaux usées urbaines. Ces matières organiques ont été combinées à des micro-organismes efficients (micro-organismes autochtones bénéfiques, dits MAB, et mycorhizes), dans l’hypothèse qu’ils favorisent la disponibilité en micronutriments dans les sols.

« Il existe plusieurs types de micro-organismes dits efficients, précise Jean-Michel Médoc. Dans le cadre d’OR4FOOD, on a multiplié par fermentation des micro-organismes naturels prélevés dans la litière forestière locale. On appelle cela une technologie de biostimulation, qui permet de former des micro-organismes autochtones bénéfiques. Tout ce process se fait directement à la ferme. »

Formation à la préparation de micro-organismes efficients de type MAB, au bénéfice des femmes du village de Mbarokounda, Région de Kaffrine, Sénégal © J.-M. Médoc, Cirad 2022

Formation à la préparation de micro-organismes efficients de type MAB, au bénéfice des femmes du village de Mbarokounda, Région de Kaffrine, Sénégal © J.-M. Médoc, Cirad 2022

Ces tests ont été conduits pendant deux ans sur quelques cultures : le niébé, le mil et la patate douce. À la fin du projet, l’équipe a observé une augmentation de la concentration en fer, en zinc et en provitamines A dans les trois cultures tests. Surtout, ce gain se conserve ensuite lors de la transformation, notamment la cuisson-extrusion, une technique de transformation alimentaire classique. « Les gains en micronutriments restent assimilables par l’estomac », précise le chercheur.

À titre d’exemple, au Sénégal, les variétés de niébé Thieye et Thissine ont montré des rendements et des concentrations fer et zinc supérieurs à ceux des variétés traditionnelles. Lorsque ces variétés naturellement riches en micronutriments reçoivent une combinaison de litière de volailles et de micro-organismes, les gains en fer obtenus sont de + 25 % et ceux en zinc de + 33 % par rapport à ces mêmes variétés conduites de façon conventionnelle. De même, les variétés de patate douce à chair orange Apomudem et Kandee ont enregistré des gains de + 69 % en fer et + 39 % en zinc, par rapport aux variétés cultivées de manière conventionnelle.

Récolte d'une patate douce à chair orange biofortifiée par des pratiques agroécologiques, à Nioro du Rip au Sénégal © E. Noumsi Foamouhoue

Récolte d'une patate douce à chair orange biofortifiée par des pratiques agroécologiques, à Nioro du Rip au Sénégal © E. Noumsi Foamouhoue

Ces pratiques agroécologiques ont pour autre avantage de ne pas impacter négativement le rendement. Une réorganisation du travail doit néanmoins se faire autour des nouvelles ressources : la matière organique choisie doit être mobilisable et transportée sur la parcelle, et les micro-organismes efficients doivent être produits à la ferme. « Les pratiques mises en place ne sont pas réellement nouvelles pour les communautés, souligne Jean-Michel Médoc. Ce qu’a fait OR4FOOD, c’est simplement remettre au goût du jour des systèmes de culture basés sur le recyclage des résidus organiques. L’innovation principale consiste en la combinaison de ces résidus avec des micro-organismes efficients. »

Une solution court-terme et une première étape vers la diversification alimentaire

Les résultats apportés par OR4FOOD montrent que la biofortification agronomique via l’agroécologie peut apporter une solution rapide à certains problèmes nutritionnels au Sahel. Trois cycles culturaux ont suffi pour observer l’augmentation des micronutriments, soit entre un an et demi et trois ans en fonction des cultures et de l’accès à l’eau. Suite au projet, la Banque mondiale finance actuellement un travail de postdoctorat au Sénégal pour développer ces pratiques à plus grande échelle.

La biofortification agronomique ne pourra cependant pas tout régler, comme le rappelle Jean-Michel Médoc : « les carences sont surtout dues à des régimes alimentaires monotones et au faible accès à des quantités suffisantes d’aliments riches en nutriments. La solution désirable à long terme, c’est la diversification alimentaire ». Pour de nombreuses populations rurales au Sahel, l’alimentation est surtout basée sur des céréales et quelques légumes. La viande et le poisson restent des denrées rares, à cause d’un manque d’accès physique ou économique. Améliorer leur régime alimentaire est une entreprise complexe et à long terme, qui dépend entre autres de l’augmentation des revenus, de l’amélioration de l’accès aux aliments diversifiés et de la prestation des services de santé et nutrition.

Pour le chercheur, développer des systèmes agronomiques biofortifiés constitue la première étape vers une diversification alimentaire qui passerait par une diversification culturale. L’agroécologie, à ce titre, présente non seulement les solutions agronomiques adéquates pour les pays à faibles revenus, mais permet aussi une réorganisation sociale et économique du travail agricole plus juste et durable. Parce qu’elle oblige une participation et un engagement de tous les maillons du système alimentaire, la transition agroécologique permet par exemple une autonomisation des femmes, principales responsables sur les questions nutritionnelles car en charge de la transformation et de la préparation des repas. Dans OR4FOOD, la voix des femmes lors du choix des variétés a notamment été importante, puisque ce choix impacte directement le type d’aliments disponibles ensuite pour le ménage.

Des femmes de Mbarokounda au Sénégal, réfléchissent à leur autonomisation alimentaire lors d’un atelier en avril 2022 © P. Alexis

Des femmes de Mbarokounda au Sénégal, réfléchissent à leur autonomisation alimentaire lors d’un atelier en avril 2022 © P. Alexis