Science en action 17 juin 2025
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Quand les paysans enseignent l’agroforesterie à l’université

Module de formation dans une communauté rurale : en plus du groupe d’étudiants, la « salle de classe » est ouverte à tous les habitants de la communauté © I. Moreira, Refloramaz
L’essentiel
- Différents systèmes agroforestiers coexistent autour de Belém. Certaines agroforêts sont très riche en biodiversité avec près de 70 espèces d’arbres à l’hectare.
- Une formation universitaire diplômante « Refloramaz » a rassemblé durant deux ans étudiants, agriculteurs déjà engagés dans la voie de l’agroforesterie et scientifiques pour échanger leurs expériences et co-construire de nouvelles connaissances.
- Les participants diffusent désormais les pratiques agroforestières à plus large échelle via un forum et une série d’ateliers organisés d’ici la prochaine COP climat, qui aura lieu à Belém en novembre 2025.
Pour un nombre croissant d’agriculteurs aux alentours de Belém, associer des arbres à des cultures ou de l’élevage est devenu une pratique qui change beaucoup de choses. Cette région, dans l’État du Pará, compte en effet parmi les premières déforestées en Amazonie brésilienne. Les sols sont de plus en plus dégradés, ce qui rend la production d’aliments difficile pour les nombreuses communautés paysannes, quilombolas (afrobrésilienne) et amérindiennes. Or les arbres, s’ils ont été longtemps délaissés par l’agriculture, ont un potentiel énorme pour réparer les écosystèmes, que ce soit pour fertiliser les sols, retenir l’eau, créer un microclimat favorable et attirer des insectes pollinisateurs. Les systèmes agroforestiers, qui combinent arbres et cultures agricoles, apparaissent donc comme des solutions particulièrement adaptées à la fois pour restaurer ces terres dégradées et pour assurer la sécurité alimentaire des communautés paysannes.
L’agroforesterie sous toutes ses formes
Depuis 2016, des équipes scientifiques franco-brésiliennes étudient les différents systèmes agroforestiers qui fleurissent autour de Belém. L’enquête a permis d’inventorier plus de 400 initiatives paysannes. Entre des productions tournées vers l’export, avec le cacao, ou des cultures vivrières mêlant plusieurs dizaines d’espèces à l’hectare, l’agroforesterie de l’Amazonie brésilienne se montre particulièrement diverse.
Dans un rayon de 300 km autour de Belém, on peut distinguer deux principaux modèles agroforestiers. Le premier, plutôt commercial, associe des cultures de cacaoyers à du palmier açaï. Ce modèle tourne souvent à moins de dix espèces d’arbres à l’hectare et est gourmand en intrants chimiques. Il s’agit d’une agroforesterie tournée vers les marchés et l’export et de plus en plus soutenue par les politiques publiques. Le deuxième modèle est celui des agroforêts ultras diversifiées, qui accueillent parfois près de 70 espèces d’arbres différentes à l’hectare. Elles sont portées par des communautés amazoniennes amérindiennes, afrobrésiliennes, et paysannes, surtout pour l’alimentation des familles. Plutôt que d’utiliser des intrants, ces agriculteurs mobilisent une grande diversité de plantes de service.
Dans les agroforêts les plus diversifiées, les paysans parlent de forêts d’aliments : la concentration d’espèces permet en effet la comparaison avec une forêt, néanmoins les espèces choisies répondent aux besoins des communautés. Au-delà de la production vivrière, on y retrouve du cacao et de l’açai, qui sont vendus, mais également des plantes médicinales ou des espèces pour la production de bois. « Certains paysans ont une connaissance très fine des espèces, mais aussi des associations bénéfiques entre arbres, détaille Émilie Coudel, socioéconomiste au Cirad. Par exemple, ils vont planter des arbres pour attirer les abeilles natives et augmenter la pollinisation des espèces à fruit, ou d’autres arbres pour repousser les insectes indésirables. »
Mélanger les savoirs traditionnels et scientifiques
La formation portée par le groupe Refloramaz, « Restauration environnementale et systèmes agroforestiers en Amazonie », a eu pour objectifs l’échange entre les différentes pratiques existantes d’agroforesterie et la circulation des savoirs traditionnels et académiques. « Cette formation a justement porté sur la valorisation du rôle prépondérant des agriculteurs familiaux, des peuples de l’Amazonie, à la fois les quilombolas et les peuples amérindiens, dans les actions de restauration forestière », souligne Livia Navegantes, professeure à l’Université Fédérale du Pará.
Grâce à la sélection de profils variés, de diverses communautés amazonienne, d’agriculteurs, de techniciens, d’enseignants d’école rurale, de leaders de mouvements sociaux, la formation a permis de valoriser et partager des pratiques d’agroforesterie adaptées à la réalité amazonienne au sein des territoires de l’est du Pará. « L’échange de connaissances a été formidable au sein de notre groupe, déclare Justiniano, jeune agriculteur familial de Paragominas. Chaque région a sa propre façon de planter et de produire, on a pu échanger de très nombreuses connaissances. »
Les étudiants ayant une expérience académique ont pu renforcer leurs connaissances pratiques et les étudiants de profil plus technique ont pu se familiariser avec le monde scientifique. « En plus des professeurs qui enseignaient, explique Justiniano, il y avait les collègues qui nous soutenaient, surtout lorsqu’il s’agissait de termes techniques, ces mots très techniques que nous ne comprenions pas, ils nous aidaient toujours, nous les expliquaient. »
Avant de commencer le cours, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’agroforesterie. Nous la pratiquions sans le savoir sur notre terrain. Lorsque cette opportunité s’est présentée, que j’ai fait des recherches et que j’ai vu que c’était quelque chose sur lequel je travaillais déjà de manière inconsciente, cela a éveillé mon intérêt.
Justiniano explique également que certains agriculteurs plus expérimentés en systèmes agroforestiers ont pu enseigner de nombreuses techniques au reste des étudiants de la formation : préparer les pieds de bananiers, planter du tournesol mexicain (Tithonia diversifolia), pour beaucoup considéré comme nuisible, pour servir d’engrais pour les sols, ou encore comment préparer les boutures de manioc pour favoriser la germination. En réunissant techniciens, étudiants universitaires et agriculteurs, cette spécialisation a fait le pari d’une éducation inclusive, fondée sur le dialogue, le partage des savoirs et l’autonomisation de tous.
La formation « Restauration environnementale et systèmes agroforestiers en Amazonie » est une formation universitaire proposée par l’Université Fédérale du Pará, l’Université Fédérale Rurale d’Amazonie, l’Embrapa et le Cirad entre 2024 et 2025, dans le cadre du projet Sustenta&Inova, financé par l’Union européenne. En format itinérant, elle a proposé 10 sessions de formation sur des thèmes divers, allant de la santé des sols, la sélection génétique, ou comment tailler les arbres, jusqu’aux questions de transformation alimentaire, organisation collective et aux politiques publiques. Elle s’est clôturée en avril 2025 par la remise des diplômes, lors d’un séminaire pré-COP « » accueilli à l’Université Fédérale du Pará à Belém. Le groupe d’étudiants va continuer d’échanger au sein d’un forum lancé pour l’occasion, et des actions du forum sont prévues dans le cadre du projet FEFACCION, financé par le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères, jusqu’à fin 2025.
L’université à la rencontre des territoires amazoniens : la recherche par tous et pour tous
Avec une superficie de 1 247 689 km², soit plus de deux fois la France, le Pará est le deuxième plus grand État du Brésil. Bien qu’il abrite quatre universités fédérales et deux universités d’État, l’accès à l’enseignement supérieur demeure un défi majeur pour une grande partie de la population, en particulier dans les communautés rurales et isolées. La formation Refloramaz se distingue par son approche innovante : au lieu de se dérouler dans les campus universitaires, elle a été déployée au sein des communautés situées dans l’est du Pará, où vivent une partie des étudiants sélectionnés. Conçue sous forme de modules alternants enseignements théoriques, échanges participatifs et mises en situation concrètes, cette formation a également invité les membres des communautés locales à prendre part aux séances, favorisant ainsi un apprentissage collectif et ancré dans les réalités du territoire.
« Nous avons fait une série de chantiers collectifs, appelés mutirões au Brésil, pour implanter l’agroforesterie dans les communautés, c’est ce qu’on appelle des laboratoires vivants. Ainsi, ces expériences restent là, avec les erreurs, les succès, les plantes qui poussent, la vie qui se développe, et peuvent servir d’exemple à d’autres agriculteurs qui souhaitent également avoir une référence en matière d’agroforesterie dans leurs communautés », explique Livia Navegantes.
Diffusion des connaissances par les étudiants dans les communautés
Afin de garantir la circulation des connaissances et maximiser l’impact de la formation, les étudiants ont été sélectionnés en fonction de leur implication dans leur communauté ou organisations sociales. Au total, 19 organisations sociales étaient représentées dans la formation à travers les étudiants.
« Notre objectif en montant cette formation allait bien au-delà des connaissances partagées, on voulait surtout monter un réseau de “restaurateurs”, confie Émilie Coudel. On avait rencontré des leaders très impliqués dans leurs communautés, qui avaient plein d’idées et de propositions, mais qui ne se connaissaient pas. On voulait vraiment qu’ils puissent se rencontrer, échanger, découvrir d’autres manières de faire, et qu’à partir de là, qu’ils puissent collectivement proposer aux mairies des actions à mener, et à l’État, des priorités pour les politiques publiques. C’est ça, la force de ce groupe Refloramaz, ils ont une force de proposition qui vient de la base, à partir des demandes réelles des agriculteurs, tout en étant en lien avec l’université pour gagner en crédibilité aux yeux des décideurs publics. Ceux-ci l’ont bien compris et les écoutent. »
Nombreux sont les étudiants récemment diplômés qui souhaitent aujourd’hui partager les savoirs acquis durant la formation. Miquele Silva, agricultrice familiale et membre du mouvement féministe des femmes du nord-est du Pará (MMNEPA) explique : « Je suis membre du MMNEPA et la formation m’a aidée dans cette proposition de dialogue avec les femmes du mouvement, pour faire en sorte que les pratiques des systèmes agroforestiers restent dans ma région, mais qu’elles soient également propagées sur les territoires d'autres femmes. »
Instaurer des dynamiques de restauration environnementale et systèmes agroforestiers dans l’État du Pará
Les étudiants diplômés constituent aujourd’hui un réseau de leaders formés aux enjeux agroforestiers dans le contexte amazonien et qui souhaitent poursuivre les réflexions collectives, les demandes en matière de politiques publiques soulevées durant la formation. Pour cela, ils ont décidé de créer le Forum populaire de l’agroforesterie d’Amazonie comme espace de discussion et ont invité de nombreuses institutions à y prendre part : secrétariats de l’État du Pará, institutions de conseil technique, associations, tribunal du travail. Les thématiques prioritaires du forum sont :
- l’implantation de systèmes agroforestiers
- le renforcement des marchés
- la transformation de produits
- la régularisation des terres
- les recherches de financement.
En créant un espace d’échange, regroupant institutions politiques, administratives, judiciaires, organisations de la société civile, les participants du forum espèrent co-construire des dynamiques de restauration environnementale et systèmes agroforestiers à l’échelle de l’État du Pará.
Promouvoir des formations transversales pour construire des solutions innovantes et résilientes
L’université peut, en proposant des formations transversales et ouvertes à divers profils d’étudiants, être un moteur dans la création de solutions aux problématiques liées au changement climatique.
Il n’y a pas de réponse unique et on ne peut attendre de réponse uniquement de la science, à moins que ce soit une science citoyenne, une science faite avec les communautés, faite avec la société, pour construire ces alternatives. En termes d’héritage, le cours et le projet dans son ensemble travaillent beaucoup sur la valorisation du savoir et l’échange de connaissances.
La formation Refloramaz montre qu’il est possible d’innover en donnant une place aux paysans à l’université et en croisant différents types de savoirs. C’est d’ailleurs ce que décrit Katia Silene Tonkyre, première femme cacique du peuple amérindien Akratikatejé, invitée à participer au séminaire final de la formation, organisé à l’Université Fédérale du Pará : « Nous apportons aujourd’hui un peu de notre expérience de vie, de partage et nous venons également chercher de nouvelles connaissances. Nous prendrons ce qui est bon comme modèle pour investir dans notre territoire. Ce qui n’est pas bon, nous le laisserons ici. Nous sommes ici pour nous enrichir les uns les autres. Si nous unissons nos forces, nous gagnerons. »