Des zoonoses détectées dès les premiers signaux

Science at work 17 June 2025
La prévention des épidémies passe par une détection précoce suivie de réponses rapides et efficaces. Cela implique une excellente coordination entre les communautés locales et des administrations souvent loin du terrain. Pour être opérationnelle, la surveillance doit donc miser sur la formation des populations les plus exposées, et s’assurer que leurs besoins en matière de santé soient pris en compte dans leur globalité. Leçons de Guinée sur la mise en œuvre de ces « systèmes de surveillance communautaire ».
En périphérie de la préfecture de Guéckédou, en Guinée forestière © M. Tesch, Cirad
En périphérie de la préfecture de Guéckédou, en Guinée forestière © M. Tesch, Cirad

En périphérie de la préfecture de Guéckédou, en Guinée forestière © M. Tesch, Cirad

L’essentiel

  • Dans la province de Guéckédou, en Guinée forestière, plusieurs villages participent à une expérience pilote de « système de surveillance communautaire ». Ces systèmes visent à prévenir les épidémies, dans une zone marquée par de récurrentes émergences de fièvres hémorragiques.
  • Ces méthodes se basent sur l’implication de quelques habitants appelés « agents communautaires », et qui fonctionnent comme des relais entre leur communauté et les autorités décentralisées.

En quelques années seulement, la Guinée a connu plusieurs émergences d’épidémies graves. La plus tristement connue étant celle d’Ebola en 2014, qui s’est étendue en Sierra Leone et au Libéria, faisant environ 11 000 morts. Depuis, les systèmes d’alerte et de réponse face aux émergences zoonotiques se sont largement améliorés. Des plateformes « One Health » ont été créées pour faciliter les échanges entre les secteurs agricole, de l’environnement et de la santé humaine, et ce sur chaque niveau : ministères, directions régionales et préfectorales, jusqu’aux autorités publiques décentralisées. Malgré cela, un échelon manque. Les communautés, en première ligne en cas d’épidémie, restent mal intégrées aux systèmes de prévention classiques.

« Lors de la première épidémie d’Ebola en 2014, de nombreuses mesures ont été mises en place sans aucune consultation des populations, relate Saa André Tolno, vétérinaire et enseignant-chercheur à l’Institut Supérieur des Sciences et Médecine Vétérinaire (ISSMV) de Dalaba, en Guinée. En Guinée forestière, là où ont eu lieu la plupart des émergences zoonotiques, les communautés ont vu arriver des ONG et des institutions étrangères, pour des fins d’enquêtes ou des prélèvements, et souvent sans se coordonner. Les populations devaient répondre aux mêmes questions, accepter des prises d’échantillons sans résultats, parfois des mesures de réponse ou des consignes de lutte contradictoires… Pour une population, c’est traumatisant : elle se sent envahie, sans voix au chapitre, utilisée pour les intérêts des projets et non pour leurs préoccupations. »

Les besoins des communautés : la base de tout système efficace

En dix ans, la Guinée forestière a connu deux émergences d’Ebola, la première en 2014 et la seconde en 2021. Plusieurs cas de fièvres hémorragiques, dont la fièvre de Lassa, continuent d’apparaitre de façon sporadique depuis quelques années. La zone est aussi sujette aux maladies tropicales négligées comme le paludisme, encore très répandu, avec plus de quatre millions de cas en 2023.  

« Encore maintenant, la majorité des actions de lutte contre les épidémies se concentrent sur quelques maladies définies comme prioritaires, et qui sont considérées comme importantes au niveau national ou international, détaille Saa André Tolno. Ces maladies, au nombre de neuf, incluent les fièvres hémorragiques comme Ebola, Marburg, ou Lassa. Sauf que localement, dans certaines zones enclavées, 80 % de la population souffre du paludisme et les traitements sont difficilement accessibles. Les enfants souffrent également de rougeole avec des retards constatés dans le démarrage des campagnes nationales de vaccination. Ce décalage, entre des priorités définies au plus haut niveau et les réalités du terrain, entraîne un désengagement des personnes sur place. Si on veut prévenir efficacement les épidémies, il faudrait mieux intégrer et engager les communautés dans la détection précoce et la mise en œuvre des mesures de réponses. »

Carte Guinée forestière

Carte de la Guinée

La Guinée forestière est l’une des quatre régions naturelles de la Guinée. En son cœur, la préfecture de Guéckédou a subi la majorité des émergences de fièvres hémorragiques. La population y est en majorité agropastorale, et la viande issue de la faune sauvage est une composante classique des régimes alimentaires. Les contacts avec les animaux, domestiques ou sauvages, sont donc élevés pour ces communautés, ce qui augmente largement le risque de transmission des maladies zoonotiques. En plus du risque, les villages sont souvent isolés et difficiles d’accès. Peu d’habitants possèdent un smartphone et le réseau électrique est encore instable.

Dans ces conditions, la mise en place de systèmes classiques de prévention des épidémies, avec des remontées régulières d’information par des services spécialisés proches du terrain, est particulièrement complexe. Les ressources de tout type manquent : humaines, financières, matérielles, etc. Pour pallier ces difficultés, des scientifiques tentent de mettre en place, avec les populations locales, des « systèmes de surveillance communautaires ». Ces systèmes se basent sur des membres de la communauté, appelés « agents communautaires », qui servent de relais entre les habitants et les autorités décentralisées.

« Ce sont des chasseurs, des éleveurs, des matrones, des guérisseurs ou même des enseignants, précise Maxime Tesch, doctorant au Cirad spécialisé en surveillance des maladies infectieuses. Ils sont formés à la détection de signaux faibles, comme la mort suspecte d’un animal par exemple. On travaille également avec eux sur les premières actions à mettre en œuvre, comme l’isolement de personnes malades en attendant les résultats d’analyse, le porte-à-porte pour informer les voisins, etc. »

Mais les échanges fonctionnent aussi en sens inverse : ces agents communautaires font également remonter les besoins des populations auprès des autorités de Guéckédou. Finda Fanta Kamano est matrone dans la sous-préfecture de Téméssadou. Elle milite notamment pour plus de formations et d’aide matérielle : « grâce aux équipes scientifiques de l’école vétérinaire de Guinée et du Cirad, on a eu une sensibilisation importante autour des pratiques à risque, par exemple lorsqu’un chasseur tombe sur un animal mort en forêt. Ces formations sont importantes, mais encore insuffisantes : il faudrait les multiplier dans l’année. Nous avons aussi besoin de meilleurs outils de travail et de soutien pour faciliter les déplacements ».

Finda Fanta Kamano est matrone dans la sous-préfecture de Téméssadou en Guinée forestière. Elle est une des agentes communautaires pour le système de surveillance communautaire de la région © M. Tesch, Cirad

Finda Fanta Kamano est matrone dans la sous-préfecture de Téméssadou en Guinée forestière. Elle est une des agentes communautaires pour le système de surveillance communautaire de la région © M. Tesch, Cirad

Les matrones sont des femmes qui prennent en charge les femmes enceintes et les enfants au sein des communautés de Guinée forestière. « Les femmes sont parmi les plus exposées, rappelle Finda Fanta Kamano. Elles cuisinent la viande, elles manipulent la nourriture. Je plaide pour ne pas les laisser de côté. »

Coordination des projets One Health en Guinée et partenariats

Depuis cinq ans, la préfecture de Guéckédou accueille une équipe franco-guinéenne en charge de mettre en œuvre le système de surveillance communautaire. Les instituts scientifiques impliqués sont le Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée (CERFIG), l’école vétérinaire de Guinée rattachée à l’Institut supérieur des sciences et de médecine vétérinaire (ISSMV), et le Cirad et l’IRD pour la France. Ce groupe bénéficie du soutien important de l’Office guinéen des parcs nationaux et réserves de faune (OGPNRF) et de la Direction nationale des services vétérinaires (DSNV) du ministère de l’agriculture et de l’élevage de Guinée.

Les travaux sont menés en coordination sur plusieurs projets internationaux : EBO-SURSY, BCOMING, et AFRICAM de l’initiative PREZODE pour la prévention des pandémies. Ces programmes sont financés par, notamment, l’Union européenne, l’Organisation mondiale de la santé animale, et l’Agence française de développement.

Du local au national : s’organiser entre les différents échelons

« Dans un système de surveillance à base communautaire, l’idée est que les membres de la communauté effectuent des activités de prévention et de détection des émergences épidémiques, rappelle Maxime Tesch. Néanmoins, cela ne vient pas remplacer une autorité locale compétente : il s’agit plutôt de se réorganiser pour s’adapter aux contextes. Le lien entre les populations et les services déconcentrés reste essentiel, car il définit l’efficacité des stratégies de réponse en cas d’émergence avérée. »

La première étape consiste à utiliser des méthodes qui assurent un bon transfert de connaissances, et ce dans les deux sens. Les scientifiques travaillent donc avec les agents communautaires à l’aide des approches participatives. Momory Leno est chef de poste vétérinaire de la sous-préfecture de Téméssadou : « le taux d’analphabétisme diminue, mais disons que nous sommes à 45 % de la population qui savent lire et écrire. Avec le Cirad, on a appris à utiliser des cartes et des jeux, pour sensibiliser sur ce qu’est une zoonose et comment elle se transmet. Trouver des méthodes qui vont parler aux gens, c’est ça la clé. Et ça implique aussi d’adapter les langues, par exemple des guides ou des vidéos. Moi, je parle le français, le malinké et le soussou. D’autres vont plutôt parler le kissi. »

Momory Leno, chef de poste vétérinaire de la sous-préfecture de Téméssadou, en Guinée forestière. Il est l’un des agents communautaires pour le système de surveillance communautaire de la région © M. Tesch, Cirad

Momory Leno, chef de poste vétérinaire de la sous-préfecture de Téméssadou, en Guinée forestière. Il est l’un des agents communautaires pour le système de surveillance communautaire de la région © M. Tesch, Cirad

Grâce à ces approches, certains points d’eau ont été identifiés comme particulièrement à risque pour les communautés. « Dans la région de Guéckédou, les élevages de porcs sont très répandus, explique Momory Leno. C’est un système d’élevage sans enclos, avec des porcs libres de se promener un peu partout. Et il s’avère que les sources d’eau sont peu nombreuses, autant pour les êtres humains que pour les animaux. Là où la population va pour puiser son eau, c’est également là où les porcs viennent s’abreuver. Dans ce cas concret, on a donc besoin de sensibiliser les gens au fait de séparer les sources d’eau potable et les sources d’eau pour l’élevage. Mais on a aussi besoin d’un soutien public, parce que si les ressources sont limitées, les gens n’ont pas le choix. »

De la même manière, des problématiques de sécurité alimentaire peuvent pousser un chasseur à rapporter une viande sauvage d’un animal suspecté d’être mort de maladie. Le soutien des services publics et des ONG est donc crucial pour rééquilibrer les enjeux. Les travaux en Guinée forestière démontrent pour cela l’importance de mettre tous les secteurs au même niveau : « on se rend compte que la santé humaine est mieux équipée que les secteurs de la santé animale ou de l’environnement, rapporte Maxime Tesch. Dans une logique de soin, cela paraît normal. Mais dans une logique de prévention, les enjeux de sécurité alimentaire sont aussi traités comme des enjeux sanitaires. »

Momory Leno expose notamment le manque de ressource humaine pour les services vétérinaires de sa région. À Guéckédou, 80 % des chefs de poste vétérinaires sont stagiaires et restent peu de temps sur place. Le recrutement, trop faible, ne permet pas de couvrir l’entièreté de la zone. À cela s’ajoute un manque en termes de moyens de déplacement. « Pour agir rapidement ou pour assurer la remontée de données, il faut être sur le terrain à temps. Rien que là-dessus, il faut faire des efforts. »

Pour l’instant, les travaux menés dans la préfecture de Guéckédou sont une expérience pilote. Son succès repose sur un dialogue continu avec les acteurs centraux, tels que la DSVN, l’OGPNRF et la plateforme One Health nationale. Selon les scientifiques, ces systèmes de surveillance à base communautaire pourraient permettre à terme de mieux répondre aux problématiques sanitaires locales, en complément des initiatives prises au niveau national. À Conakry, les différents services travaillent à fournir les outils adéquats pour une remontée des informations rapide, et adaptés au contexte rural isolé. Le rôle des chercheurs est d’autant plus important car ils peuvent faire le lien entre décisions centrales et besoins locaux, tout en promouvant l’approche One Health pour une meilleure coordination entre les secteurs.