Afrique-Europe : booster les recherches en partenariat sur l’agriculture et l’alimentation

Plaidoyer 29 juillet 2025
Les réponses face au changement climatique, à la chute de biodiversité, à l’appauvrissement des ressources naturelles seront globales ou ne seront pas. Dans le domaine de l’agriculture peut-être plus qu’ailleurs, l’apprentissage commun des outils et des facteurs de résilience est une nécessité. Quinze ans de recherches communes lient l’Union européenne et l’Union africaine sur ces domaines. Des collaborations qui se renforcent encore sous l’égide d’un nouveau consortium international de recherche.
En 2010, l'agronomie a été désignée comme priorité de collaboration de recherches entre l'Afrique et l'Europe. Ici, atelier au Sénégal autour des pratiques agroécologiques © R. Belmin, Cirad
En 2010, l'agronomie a été désignée comme priorité de collaboration de recherches entre l'Afrique et l'Europe. Ici, atelier au Sénégal autour des pratiques agroécologiques © R. Belmin, Cirad

En 2010, l'agronomie a été désignée comme priorité de collaboration de recherches entre l'Afrique et l'Europe. Ici, atelier au Sénégal autour des pratiques agroécologiques © R. Belmin, Cirad

L’essentiel

  • En 2010, l’Union africaine et l’Union européenne signent leur tout premier accord de partenariat en recherche. L’agronomie est alors désignée comme priorité de collaboration entre les deux continents, priorité à laquelle se sont ensuite ajoutées ensuite les énergies renouvelables et l’innovation.
  • En quinze ans, les projets se sont multipliés, intégrant la science comme levier de développement et de transformation des systèmes alimentaires. Aujourd’hui, ce partenariat bénéficie d’un consortium regroupant une grande majorité des instituts de recherche en agronomie des deux continents, et qui s’ouvre également aux partenaires privés.

En 2010, l’Union européenne se tourne d’abord vers quelques pays dits « émergents » pour renforcer les collaborations en recherche à l’international : le Brésil, l’Inde, la Chine ou encore l’Afrique du Sud. Rapidement cependant, le continent africain apparaît comme un partenaire logique pour développer des recherches autour de l’agriculture et des systèmes alimentaires.

Laurent Bochereau est conseiller en recherche et innovation à la délégation de l'Union européenne auprès de l'Union africaine. Il est actuellement en poste à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie : « lors du troisième sommet UA-UE, qui a eu lieu à Tripoli en novembre 2010, les chefs d’état des deux continents ont mis en place une plateforme de dialogue politique à haut niveau sur la science, la technologie et l’innovation. De ce dialogue est né un partenariat équitable et durable sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle et l'agriculture durable, qui a permis de mieux structurer la coopération entre les acteurs des deux continents. Treize ans plus tard, l’agenda d’innovation UA-UE adopté en juillet 2023 est venu renforcer ce partenariat et accélérer la production de résultats concrets face aux enjeux touchant les deux continents ».

Jean-Paul Laclau est directeur général délégué à la recherche et à la stratégie au Cirad et membre du groupe d’experts mandatés par les deux commissions, dans le cadre de ce dialogue à haut niveau : « Dans les années 2010, l’adaptation des systèmes agricoles aux changements globaux a été l’une des portes d’entrée des coopérations scientifiques entre l’Afrique et l’Europe. Très rapidement s’est aussi posée la question de l’attractivité du métier d’agriculteur, en Afrique comme en Europe, avec en particulier celle du revenu. L’amélioration des conditions de vie des agricultrices et des agriculteurs est bien sûr un objectif majeur, qui est aussi important pour assurer la durabilité des filières et des ressources naturelles. »

L’implication et les propositions de Jean-Paul Laclau au sein du groupe d’experts sont en continuité avec les apports de Philippe Petithuguenin, conseiller de la délégation à la recherche et à la stratégie du Cirad. Philippe Petithugenin a été impliqué dans ce partenariat UE-UA dès son lancement en 2010, et a participé à ce groupe d'experts jusqu'en 2024.

Les défis communs des agricultures européenne et africaine

D’ici quelques années, diverses régions d’Europe connaîtront des climats semblables aux situations africaines : hausse des températures, sécheresses, irrégularité de la pluviométrie, etc. C’est une des raisons pour lesquelles plusieurs espèces largement cultivées en Afrique ont bénéficié d’investissements accrus de la recherche européenne. Le sorgho figure parmi les exemples connus : cette céréale d’Afrique de l’Ouest, résistante aux climats secs, a vu son utilisation croître en Europe et profite de travaux communs de recherche entre les deux continents. 

Outre l’amélioration des plantes cultivées, la durabilité passe aussi par une meilleure gestion à l’échelle de la parcelle. Or les systèmes de cultures européens, très simplifiés, résistent mal aux changements brutaux. « La monoculture domine aujourd’hui en Europe, précise Jean-Paul Laclau. En Afrique, on trouve bien plus de mélanges de cultures, de l’agroforesterie, des associations avec le bétail, etc. De nombreux travaux montrent que la diversité augmente la résilience des peuplements végétaux face aux aléas climatiques. » Par ailleurs, plus un système de production est spécialisé ou focalisé sur une seule culture, et plus les revenus de l’agricultrice ou de l’agriculteur sont sensibles aux chocs économiques. La diversité est donc aussi une forme de résilience économique et sociale.

En retour, l’Afrique peut tirer profit des recherches autour de l’augmentation des rendements, de la protection de la fertilité des sols ou encore de la productivité du travail. Surtout, le continent bénéficie ainsi de financements accrus pour sa recherche, de renforcement de capacités et de connexions internationales. 

Vers des collaborations plus justes et basées sur le volontariat

Depuis 2010, d’ambitieux programmes de recherche en agronomie et alimentation se sont enchaînés entre l’Afrique et l’Europe. L’Union européenne a ainsi lancé plusieurs initiatives internationales, dont LEAP-Agri, PRIMA, ou encore DESIRA. Sur la période 2017-2023, le nombre de projets a augmenté de 500 %, comparé à 2010-2016.

ProgrammeObjectifs générauxNombre de projetsNombre de pays impliquésPériode
LEAP-AgriPartenariat entre l'Europe et l'Afrique sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle et l'agriculture durable27192016-2021
PRIMAPartenariat pour la recherche et l'innovation dans la région méditerranéenne238202017-2028
DESIRAInnovation pour le développement grâce à la recherche agronomique (monde)61 projets avec l'Afrique402017-2023

L’explosion de ces collaborations s’est accompagnée d’une réorganisation des mécanismes de financement. Initialement, les budgets étaient alloués par l’Union européenne vers les pays africains, selon une logique très descendante. Depuis l’initiative LEAP-Agri lancée en 2016, et dans une optique de rééquilibrer les rapports de force, les financements se basent désormais en partie sur des contributions volontaires des États, aussi bien en Europe qu’en Afrique. Chaque État peut limiter ses financements exclusivement aux scientifiques de son propre pays, et ceux-ci bénéficient ensuite des collaborations internationales établies. Sur cette base volontaire se rajoutent ensuite des financements de la Commission européenne, parfois, d’organismes nationaux d’Europe, comme l’Agence française de développement ou le BMZ en Allemagne. 

L'alliance de recherche européenne et africaine LEAP-Agri

L'alliance de recherche européenne et africaine LEAP-Agri

Reconnaître la valeur ajoutée de la recherche agronomique africaine

Aujourd’hui, le partenariat de recherche entre l’Union européenne et l’Union africaine est passé d’un enchaînement de projets à une structuration en consortium de recherche international. Le nouvel IRC, pour International Research Consortium, sert ainsi de plateforme entre les partenaires européens et africains qui travaillent ensemble sur la sécurité alimentaire et l’agriculture durable. Un regroupement qui vise à assurer un dialogue continu et d’égal à égal entre les membres. En parallèle, le travail en consortium permettra d’éviter la fragmentation parfois engendrée par la multiplication des projets, et ainsi garantir une meilleure coordination des actions.

Pour Jean-Paul Laclau, l’un des enjeux de l’IRC est la reconnaissance de la qualité et la pertinence de la recherche africaine au niveau international : « la recherche agronomique conduite par les États d’Afrique a longtemps souffert d’un déficit de reconnaissance à l’international. La conséquence est que certains réseaux scientifiques internationaux « oublient » parfois de s’ouvrir à la recherche africaine, ou ne le font que dans un second temps. Ce manque de reconnaissance a des répercussions sur le financement de certaines recherches, mais il entraîne aussi des angles morts pour la science. La plateforme qu’est l’IRC doit à ce titre servir de tremplin ».

Aujourd’hui, la recherche s’ouvre d'avantage aux savoirs dits « traditionnels » des agriculteurs, en Europe comme en Afrique, par exemple autour de semences oubliées et pourtant résistantes aux aléas climatiques et sanitaires. Le partage de ces connaissances entre Europe et Afrique doit s’accompagner d’un retour auprès des agricultrices et agriculteurs, que ce soit en Europe mais aussi en Afrique, continent particulièrement concerné par le changement climatique. C’est ce qui est facilité par l’IRC, qui stimule des partenariats en recherche entre l’UE et l’UA sur des sujets d’intérêts partagés. De plus, l’IRC facilite l’implication d’autres acteurs privés. Une dynamique qui permet d’assurer la production de connaissances nouvelles, pertinentes, adaptées aux attentes des divers acteurs des filières et mobilisables par ceux-ci.