Quelle digitalisation pour l’agriculture familiale ?

Plaidoyer 25 novembre 2025
La digitalisation du secteur agricole est un enjeu majeur pour les pays d’Afrique de l’Ouest, portée par des investissements publics et privés croissants, ainsi que par un véritable engouement pour la téléphonie mobile et les services associés. Pourtant, malgré la multiplication des applications agricoles développées par des start-ups de la Tech et de l’AgriTech, leur adoption par les producteurs reste limitée. Le nouveau numéro de Perspective analyse les freins et les leviers d’une transition numérique encore loin de tenir toutes ses promesses.
En Afrique de l'Ouest, le téléphone est quasiment l’unique outil numérique utilisé. 20 % des personnes n’en possèdent pas, 60 % ont un téléphone simple et 20 % détiennent un smartphone. © Jugaad, T. Cytrynowicz
En Afrique de l'Ouest, le téléphone est quasiment l’unique outil numérique utilisé. 20 % des personnes n’en possèdent pas, 60 % ont un téléphone simple et 20 % détiennent un smartphone. © Jugaad, T. Cytrynowicz

En Afrique de l'Ouest, le téléphone est quasiment l’unique outil numérique utilisé. 20 % des personnes n’en possèdent pas, 60 % ont un téléphone simple et 20 % détiennent un smartphone. © Jugaad, T. Cytrynowicz

Si les politiques publiques voient dans le numérique un levier de modernisation des filières — optimisation des productions, traçabilité, inclusion financière —, de récents travaux de recherche soulignent un décalage entre les ambitions affichées et la réalité du terrain. En Afrique de l’Ouest, les applications spécialisées, bien que financées par des partenaires internationaux, restent souvent sous-utilisées. En cause : des modèles économiques reposant sur un consentement à payer qui n’existe pas, des outils trop complexes ou mal adaptés, et une maintenance difficilement soutenable.

Ce numéro de Perspective retrace les résultats du projet Fracture numérique, mené au Bénin, en Côte d’Ivoire et au Sénégal dans trois filières contrastées (maraîchage, cacao et lait). Les analyses montrent que les outils numériques les plus sophistiqués ne sont pas nécessairement ceux qui répondent le mieux aux besoins réels des producteurs.

Le téléphone portable : un outil central, des usages simples et ancrés

L’étude met en lumière l’importance du téléphone portable, déjà largement utilisé pour des pratiques quotidiennes : appels, mobile money, messageries instantanées, organisation de la production ou de la commercialisation. Les producteurs privilégient :

  • des outils simples,
  • alignés sur leurs usages habituels,
  • accessibles même sans connexion permanente,
  • et nécessitant peu de formation.

Les groupes de messagerie instantanée, par exemple, se révèlent plus durables, inclusifs et utiles que des applications dédiées nécessitant un apprentissage spécifique.

schéma usage téléphone agriculteurs afrique de l'ouest

Comme ailleurs, des inégalités persistent : les hommes, les jeunes et les personnes plus aisées disposent d’un meilleur accès et de capacités numériques plus solides. Ces « fractures numériques » influencent directement l’appropriation des outils et doivent être prises en compte dans tout projet public ou privé de digitalisation.

Vers des solutions numériques plus réalistes et mieux ciblées

Les auteurs du Perspective appellent à repenser l’approche actuelle. Plutôt que de chercher à imposer des modèles high-techs généralisés, ils recommandent :

  • de renforcer les infrastructures numériques rurales,
  • de s’appuyer sur les outils déjà maîtrisés,
  • de développer des solutions simples pour les producteurs
  • et des outils plus avancés pour d’autres acteurs des filières (entreprises, services de conseil, collecteurs…),
  • tout en considérant le numérique comme un levier sociétal, plus que comme une innovation devant rapidement s’autofinancer.

L’enjeu : accompagner les transitions agroécologiques, faciliter la circulation de l’information et renforcer la structuration des filières — plutôt que créer de nouvelles applications dont les producteurs ne veulent pas.